Depuis les premières expérimentations en 1954 (Projectos murales), en passant par celles liées à l'instabilité du plan (1956), et culminant à Caracas en 1959, avec le premier Amarillo aditivo et la Fisicromía 1, Cruz-Diez avait concentré ses recherches sur la dissociation du binôme forme-couleur, abordant le problème sous un autre angle que celui qui, traditionnellement, ne n'envisageait que la forme colorée. Ce nouvel angle d'étude visait à libérer la couleur de la forme. La fragmentation du plan répond à cet objectif.
Dès 1954, lorsqu'il commença à structurer son langage pictural, Cruz-Diez avait comprit la nécessité de créer un langage novateur, qui lui soit propre. Il était également arrivé à la conclusion que pour apporter de nouvelles solutions, il devait se débarrasser des références traditionnelles à l'action de peindre en elle-même. Par principe, il élimine les outils tels que le chevalet, l'huile, les pinceaux, la palette et toutes les références littéraires et anecdotiques. Il remet en question sa formation académique en s'opposant à certaines notions établies comme l'idée romantique des muses et de l'inspiration ou la trace de la main de l'artiste sur la toile. Il prit conscience qu'il devait s'exprimer en tant qu'homme de son temps, avec les moyens et en accord avec les circonstances de son époque.
Ses recherches sur les mouvements artistiques et sur la manière dont d'autres artistes avaient utilisé l'élément chromatique dans l'art l'ont persuadé qu'il était possible de développer une nouvelle réflexion sur la couleur. Il a également exploré les domaines de l'optique, de la physique, de la chimie et de la recherche scientifique. Cette accumulation d'informations, ainsi que son expérience professionnelle dans les arts graphiques, ont été déterminantes dans l'élaboration de son propre langage. Ces études l'ont amené à conclure que, en matière d'art, la couleur avait toujours été considérée comme une figure secondaire, un compagnon de la forme, jamais un protagoniste, alors que la réalité indiquait précisément le contraire : la couleur n'a pas besoin de la forme pour se manifester.
Proyectos murales (Caracas, 1954)
Les Proyectos murales [Projets muraux], avec leurs formes géométriques et linéaires, étaient une tentative de créer un objet autonome sans référence à la nature. Parmi eux, le Proyecto para un muro exterior manipulable [Projet pour un mur extérieur facilement manipulable] se distingue.
Sur ce projet, on trouve des structures qui préfigurent déjà ce qui deviendra plus tard la plus grande préoccupation de Cruz-Diez : lancer la couleur dans l'espace grâce à la lumière réfléchie. Cependant, l'importance des murs extérieurs réside dans leur aspect social plutôt qu'esthétique. Les œuvres participatives ont été conçues pour que l'artiste puisse partager le plaisir de ses expérimentations et de ses recherches avec les plus démunis, qui n'avaient autrement pas accès à l'art.
Parénquimas (Barcelona 1955-1956)
Les Parénquimas [Parenchymas] ou Signos vegetales [Signes végétaux] sont des œuvres aux formes organiques dans lesquelles on constate déjà un certain intérêt pour le problème de la vibration de la couleur et le relief, tandis que le dessin reflète encore un certain attachement à l'organique. Le résultat ressemble à une peinture traditionnelle avec son design, sa composition et ses textures. Le point culminant est atteint avec Muro Rojo [Mur rouge] de 1956, la dernière œuvre de la série. Là, malgré la présence de structures organiques, on peut déjà voir des taches de couleur.
Objectos rítmicos móviles (Barcelona 1956)
En même temps que les Parénquimas, Cruz-Diez produit la série des Objetos rítmicos móviles o manipulables [Objets mobiles rythmés ou facilement manipulables], avec l'intention de bouleverser les codes et les objectifs de l'art. Il voulait créer un art vivant, toujours en mouvement.
El problema de la percepción óptica y la inestabilidad del plano (Caracas 1956-1959)
De retour à Caracas au milieu de l'année 1956, Cruz-Diez continue à travailler sur les Parénquimas jusqu'à la fin de l'année où il concentre ses recherches sur l'instabilité de la surface. Ces investigations étaient notamment orientées vers l'instabilité spatiale qui se produit lorsque nos yeux sont confrontés à des phénomènes optiques intenses et inhabituels. L'objectif étant de donner du mouvement à ce qui n'en a jamais eu : la surface.
C'est ainsi que dès les premières œuvres de cette série, Modulación óptica de la superficie [Modulation optique de la surface], Construcción en el espacio [Constructions dans l'espace] et Construcción en cadena [Construction en cours], en 1957, puis dans Estructura óptica [Structure optique] en 1958, l'artiste propose une succession de formes qui dont la perspective se déformer sous l'effet de la fatigue optique.
À partir de ces expériences sur la perception, Cruz-Diez cherche déjà à lancer la couleur dans l'espace - le principe de base de la Physichromie. L'œuvre la plus importante de cette série est Doble animación de un plano [Double animation d'un plan] en 1959. Cependant, l'artiste a conclu que les preuves n'étaient pas suffisamment solides, et il a donc décidé de poursuivre ses recherches pour trouver un moyen plus efficace de libérer la couleur dans l'espace.
Pour moi, passer de la figuration à l'abstraction n'était pas seulement un changement de style ; cela impliquait d'être profondément convaincu que cette décision était conceptuellement correcte. J'ai ensuite commencé à me demander: "Comment pourrais-je faire participer les gens à des projets où la forme humaine n'est pas représentée?"
Carlos Cruz-Diez – Color in Space and Time, "Four Situations involving Color: a Conversation", Mari Carmen Ramirez & Carlos Cruz-Diez, Houston, ICAA/MFAH, 2011
Mon intention dans les Parénquimas et El Muro Rojo, et dans tous mes travaux ultérieurs, était d'inclure les gens dans ma proposition. Il ne s'agissait pas tant de "raconter" que d'"inclure" les gens dans les émotions générées par la couleur.
Carlos Cruz-Diez – Color in Space and Time, "Four Situations involving Color: a Conversation", Mari Carmen Ramirez & Carlos Cruz-Diez, Houston, ICAA/MFAH, 2011